La fiscalité des NFT (Non-Fungible Tokens) en Suisse soulève de nombreuses questions complexes pour les acteurs du marché. Ces actifs numériques uniques, basés sur la technologie blockchain, posent des défis inédits aux autorités fiscales helvétiques. Entre qualification juridique, imposition des plus-values et TVA, le cadre fiscal des NFT reste encore flou sur de nombreux aspects. Cet état des lieux examine les principaux enjeux fiscaux liés aux NFT en Suisse et les approches adoptées par l’administration fédérale des contributions.
Qualification juridique et fiscale des NFT
La qualification juridique et fiscale des NFT constitue un préalable indispensable à leur traitement fiscal. En l’absence de législation spécifique, l’administration fédérale des contributions (AFC) tend à les assimiler à des actifs incorporels. Cette qualification a des implications importantes en termes d’imposition.
D’un point de vue juridique, les NFT peuvent être considérés comme :
- Des droits-valeurs au sens de l’article 973c du Code des obligations
- Des biens meubles incorporels
- Des actifs numériques sui generis
Sur le plan fiscal, l’AFC privilégie une approche au cas par cas, en fonction des caractéristiques propres à chaque NFT. Les critères pris en compte incluent notamment :
- La nature de l’actif sous-jacent (œuvre d’art, objet virtuel, droit d’utilisation, etc.)
- Les droits conférés au détenteur du NFT
- L’intention du créateur et de l’acquéreur
Cette qualification détermine ensuite le régime fiscal applicable, tant pour l’impôt sur le revenu que pour la TVA. Une clarification des autorités serait bienvenue pour sécuriser le traitement fiscal des NFT.
Imposition des plus-values sur les NFT
L’imposition des plus-values réalisées lors de la vente de NFT soulève de nombreuses interrogations. En l’absence de règles spécifiques, les principes généraux du droit fiscal suisse s’appliquent.
Pour les particuliers, deux cas de figure se présentent :
- Gestion de fortune privée : les plus-values sont en principe exonérées d’impôt
- Activité lucrative indépendante : les gains sont imposables au titre de l’impôt sur le revenu
La distinction entre ces deux situations repose sur des critères jurisprudentiels comme la fréquence des transactions, le recours à des fonds étrangers ou l’utilisation de connaissances professionnelles spécifiques.
Pour les entreprises, les plus-values sur NFT sont en principe imposables au titre du bénéfice. Des questions se posent toutefois sur l’évaluation des NFT et la prise en compte des moins-values latentes.
L’imposition à la source des gains réalisés par des non-résidents pose également des défis pratiques, notamment pour identifier le lieu de situation des NFT.
Cas particulier des NFT liés à des œuvres d’art
Les NFT adossés à des œuvres d’art physiques ou numériques soulèvent des questions spécifiques. L’exonération des plus-values sur objets d’art pourrait s’appliquer sous certaines conditions, mais les contours restent à préciser.
TVA et NFT en Suisse
L’application de la TVA aux transactions impliquant des NFT soulève de nombreuses interrogations. En l’absence de règles spécifiques, l’AFC tend à appliquer les principes généraux de la LTVA.
Plusieurs aspects doivent être examinés :
- La qualification de la prestation : livraison de bien ou prestation de service ?
- Le lieu d’imposition : où se situe le lieu de la prestation ?
- L’exigibilité de la TVA : à quel moment intervient-elle ?
- Le taux applicable : taux normal ou taux réduit ?
La qualification de la prestation dépend largement de la nature du NFT et des droits qu’il confère. Un NFT représentant une œuvre d’art numérique pourrait être assimilé à une livraison de bien, tandis qu’un NFT donnant accès à un service s’apparenterait davantage à une prestation de service.
Le lieu d’imposition pose des défis particuliers pour les transactions transfrontalières. L’AFC tend à privilégier le lieu du domicile ou du siège du prestataire, mais des exceptions sont possibles selon la nature du NFT.
L’exigibilité de la TVA intervient en principe au moment de la livraison ou de l’exécution de la prestation. Pour les NFT, la date du transfert effectif sur la blockchain pourrait être retenue.
Quant au taux applicable, le taux normal de 7,7% s’applique en principe, sauf pour certaines catégories comme les œuvres d’art originales qui bénéficient du taux réduit de 2,5%.
Déclaration et évaluation des NFT
La déclaration et l’évaluation des NFT dans le cadre des obligations fiscales soulèvent plusieurs difficultés pratiques pour les contribuables et l’administration.
En matière d’impôt sur la fortune, les NFT doivent en principe être déclarés à leur valeur vénale. Cependant, l’estimation de cette valeur s’avère délicate pour plusieurs raisons :
- La volatilité extrême des prix sur le marché des NFT
- L’absence de cotation officielle pour la plupart des NFT
- La rareté des transactions pour certains NFT uniques
L’AFC n’a pas encore publié de directives spécifiques sur l’évaluation des NFT. En pratique, plusieurs méthodes peuvent être envisagées :
- Le prix d’acquisition pour les NFT récemment acquis
- Le dernier prix de vente connu pour des NFT similaires
- Une estimation par un expert pour les NFT les plus rares
La question de la devise à utiliser pour la déclaration se pose également. Si le NFT a été acquis en cryptomonnaies, une conversion en francs suisses sera nécessaire.
Pour l’impôt sur le revenu, la comptabilisation des gains et pertes sur NFT soulève des questions similaires d’évaluation. La date à retenir pour le calcul des plus ou moins-values doit également être précisée.
Obligations déclaratives spécifiques
À ce jour, aucune obligation déclarative spécifique n’a été instaurée pour les NFT en Suisse. Toutefois, les contribuables doivent être en mesure de justifier l’origine et la valeur de leurs NFT en cas de contrôle fiscal.
La tenue d’un registre détaillé des transactions sur NFT est recommandée, incluant notamment :
- La date et le montant d’acquisition
- L’identifiant unique du NFT sur la blockchain
- Les éventuels frais annexes (gas fees, etc.)
- La date et le montant de cession le cas échéant
Implications actuelles pour les acteurs du marché des NFT
Le flou juridique et fiscal entourant les NFT en Suisse crée une situation d’insécurité pour les différents acteurs du marché. Créateurs, collectionneurs, plateformes d’échange et investisseurs font face à des risques de requalification fiscale et de redressements.
Pour les créateurs de NFT, la question du statut d’indépendant et de l’assujettissement à la TVA se pose. Une analyse au cas par cas est nécessaire pour déterminer si leur activité relève de la gestion de fortune privée ou d’une activité lucrative indépendante.
Les collectionneurs et investisseurs doivent être particulièrement vigilants sur la qualification de leur activité. Le passage d’une gestion de fortune privée à une activité lucrative indépendante peut avoir des conséquences fiscales importantes.
Les plateformes d’échange de NFT sont confrontées à des obligations complexes en matière de TVA et de documentation des transactions. La mise en place de processus robustes de KYC (Know Your Customer) et de reporting fiscal s’avère indispensable.
Face à ces incertitudes, le recours à un conseil juridique et fiscal spécialisé peut s’avérer judicieux. Un avocat fiscaliste pourra notamment :
- Analyser la situation spécifique du client au regard des critères fiscaux
- Recommander une stratégie de structuration fiscalement optimisée
- Assister dans les démarches auprès de l’administration fiscale
- Défendre les intérêts du client en cas de contentieux
Dans l’attente de clarifications officielles, une approche prudente et documentée reste de mise pour tous les acteurs du marché des NFT en Suisse. La mise en place d’une veille juridique et fiscale s’impose pour anticiper les évolutions réglementaires à venir dans ce domaine en constante mutation.